Expérience De Mort Imminente : Voir La Mort Et Revenir
Expérience De Mort Imminente : Voir La Mort Et Revenir
Voir la mort et revenir
Voir la mort et revenir
Ils ont entrevu l’au-delà. Et racontent leur voyage, dans des termes étonnants de similitude. Quatre témoins, de Philippe Labro à Dominique Bromberger, étayent la thèse de la “near death experience”, étudiée depuis les années 1970 par des scientifiques américains. Une enquête troublante de Patrice Van Eersel.
C’est une expérience que vous trouvez relatée dans les plus anciens récits du monde. Parlant d’Er le Pamphylien, apparemment ressuscité après une bataille, Platon l’a nommée deuteropotmos (Er s’est "évanoui et réveillé deux fois" - In La République, X, 613e-621b). Guru Nanak aussi l’a vécue. Le fondateur de la religion sikh – qui introduisit des valeurs d’une modernité inouïe dans le nord de l’Inde – se noya dans un lac et en ressortit au bout de trois jours, en s’écriant : « J’ai vu la lumière du saint nectar ! »
Un observateur attentif retrouve partout l’expérience de mort imminente (lire encadré p. 98), ce que les Anglo-Saxons nomment une near death experience (NDE). Perceval, chevalier de la Table ronde, est pendu par des brigands et s’en sort de justesse. A la seconde où il croit mourir, le temps s’arrête et il pénètre une dimension extraordinaire, où brille la lumière ineffable du Graal, « faite d’amour et de connaissance absolus ».
Mythologie à l’hôpital
En créant une sorte de zone intermédiaire entre la vie et la mort, les progrès fulgurants de la médecine moderne vont propulser cette expérience rarissime et apparemment mythique dans le champ de notre réel. Parmi les millions de personnes dont le cœur s’est arrêté ou qui se sont retrouvées dans le coma – et que nos techniques de réanimation ont réussi à faire revenir, chose impensable pour nos ancêtres –, il s’en trouve un certain nombre qui relatent une traversée ayant changé leur vie.
Humour objectif d’une situation que nul ne pouvait prévoir : le lieu le plus technique et le plus "désenchanté" du monde médical contemporain, l’unité de soins intensifs, connaît depuis le milieu du XXe siècle l’irruption d’une mythologie "sauvage". Aux Pays-Bas, une enquête, menée avec la plus grande rigueur scientifique dans les services de cardiologie de dix grands hôpitaux, a ainsi montré que 18 % des patients réanimés in extremis ont connu une near death experience.
L’étude moderne de la NDE commence dans les années 1970, aux Etats-Unis. Des chercheurs – les psychiatres Raymond Moody et Bruce Greyson, le psychosociologue Kenneth Ring, les cardiologues Michael Sabom et Fred Schoonmaker – réalisent que des millions de personnes ont vécu cette expérience limite, qu’elle a visiblement bouleversé leur existence, mais qu’il n’en est question nulle part, ni en médecine ni en sciences humaines.
Dire l’indicible
Difficulté majeure : le statut des mots. D’un côté, les rescapés ayant vécu une NDE (experiencers, en anglais) commencent généralement par proclamer qu’il n’existe aucun mot pour décrire ce qu’ils ont vécu. Ils devraient donc se taire. Mais leur besoin de témoigner les en empêche et ils parlent, ô combien ! Mais comment dire l’indicible ? « Je suis entrée dans une lumière plus puissante qu’un million de soleils, mais qui ne brûlait pas » ; « J’ai connu un orgasme un million de fois plus érotique que ce que j’avais connu auparavant, mais qui n’était pas sexuel » ; « Je me trouvais après ma mort, mais ça n’était pas après car j’étais hors du temps. »
De rares témoins, difficiles à dénombrer car ils souhaitent oublier, rapportent une expérience négative : ils étaient généralement prisonniers de figures géométriques (un « 8 » couché désignant l’infini, le signe yin/yang, etc.), et affrontaient des sarcasmes indescriptibles contre lesquels ils luttaient farouchement pour ne pas être anéantis.
Des mots décrivant une expérience ineffable, cela porte un nom : ce sont des symboles. Mais notre monde a oublié le sens premier du symbole, que nous confondons avec la métaphore, le sigle, voire la marque ! Des millénaires de culture, en Orient comme en Occident, ont pourtant exploré la nature de ces passerelles entre dicible et indicible, visible et invisible, concevable et inconcevable. Si la modernité, dans sa phase actuelle, a perdu ce sens fondateur de culture, c’est qu’elle a érigé l’autosuffisance en principe fondamental : nous pensons que le monde s’auto-organise jusque dans l’absolu et que nous n’avons pas besoin de passerelle symbolique pour rejoindre un invisible/inconcevable/transcendant censé ne plus exister.
Les NDE posent donc une question embarrassante : quels seraient ces délires mystiques qui, des années après avoir été traversés, continueraient de guider leurs « malades » dans une révision de vie comparable à une guérison de leurs névroses ?
La première réaction d’un scientifique analysant un phénomène tel que la NDE est de chercher des corrélations. L’expérience a-t-elle plus de chances d’être vécue par un homme ou par une femme ? par un enfant ou par un vieillard ? un accidenté ou un grand malade ? Les hypothèses vont se multiplier, mais, en trente ans, aucune corrélation solide ne tiendra. La NDE semble aléatoirement répartie. Ce qui poussera les chercheurs à se focaliser beaucoup moins sur le fait d’objectiver cette expérience insaisissable que sur ses effets comportementaux dûment constatables.
Constatation de base : les experiencers ne craignent plus de mourir – racine première de toutes nos peurs. Ils gardent une puissante nostalgie de l’état qu’ils ont connu, mais l’idée du suicide ne les effleure pas. Ils ont souvent l’impression d’être revenus dans leur corps dans le but d’« accomplir une mission ». Pour eux, désormais, peur de mourir égale peur de vivre. Ils manifestent l’intention de vivre pleinement. En revanche, leur peur a pu se déplacer de la mort vers la société humaine, qui considère leurs récits comme des délires psychiatriques.