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Les Extraterrestres Envahissent Le Monde

Où sont tous les extraterrestres ?

La scène se passe en 1950 aux Etats-Unis, dans la cafétéria du Laboratoire national de Los Alamos où la bombe atomique américaine a été développée pendant la Seconde Guerre mondiale. Le Prix Nobel de physique 1938, l’Italo-Américain Enrico Fermi, entouré de quelques collègues, se demande si notre civilisation est la seule à avoir atteint un stade technologique dans la galaxie. Le raisonnement est schématiquement le suivant : si ce stade a été atteint par des peuples extraterrestres, il y a de bonnes chances que certains l’aient fait depuis des milliers voire des millions d’années. Par conséquent, ils ont eu le temps de résoudre les problèmes des voyages interstellaires et de mener à bien la colonisation de la Voie lactée. D’où la question, logique, que Fermi pose : « Si les extraterrestres existent, où sont-ils donc tous ? »


Devenue célèbre sous le nom de paradoxe de Fermi, cette question posée à une époque où, primo, l’aventure spatiale humaine n’avait pas encore véritablement commencé et où, secundo, on était fort loin de découvrir la première planète extrasolaire – il faut bien que les extraterrestres vivent quelque part – a fait cogiter nombre de chercheurs, qu’ils soient astronomes ou biologistes. Les décennies ont passé et bien des inconnues que mettait en lumière le paradoxe de Fermi se sont estompées. On sait que les exoplanètes rocheuses semblables à la Terre sont sans doute pléthore dans la Voie lactée et on a mieux précisé les conditions favorables à l’apparition de la vie. Dans son livre A l’écoute du vivant, le chercheur belge Christian de Duve, Prix Nobel de médecine, expliquait ainsi que « la vie fait partie de l’Univers. C’est une manifestation normale de la matière qui obéit à ses lois. » Une affirmation qui renforçait encore le caractère « poil à gratter » du paradoxe de Fermi car si le passage de l’inerte au vivant est réellement un processus physico-chimique simple, à condition qu’on ait beaucoup de temps devant soi, qu’est-ce qui empêche qu’E.T. soit partout ou qu’il ait du moins laissé des traces visibles par tous ?


A la fin des années 1990, alors que le programme SETI d’écoute du ciel à la recherche de signaux radio artificiels ne faisait état que d’un assourdissant silence, a émergé, sous la plume de l’économiste Robin Hanson, le concept de Grand Filtre : ainsi que le résume le site Astronomes.com d’Olivier Esslinger, le Grand Filtre est « un obstacle insurmontable qui empêche le passage de la matière inerte à une civilisation galactique ». A un moment donné, quelque chose bloque. Ce « quelque chose », ce goulot d’étranglement, a souvent été placé très tôt dans le long processus censé mener à l’avènement de cette « civilisation galactique ».


Dans une étude australienne publiée le 20 janvier par la revue Astrobiology, les chercheurs Aditya Chopra et Charles Lineweaver pensent que le point de blocage ne se trouve pas au tout début de la chaîne mais plus loin : si l’on suit leur raisonnement, si les extraterrestres ne sont pas partout, c’est parce qu’ils sont morts avant d’en avoir eu le temps et non pas parce que la vie naît difficilement. Pour arriver à cette conclusion, les deux auteurs de cette étude ont, un peu comme la check-list d’un pilote et d’un copilote, méthodiquement repris les grandes étapes de l’apparition et de l’évolution du vivant pour voir où le Grand Filtre avait le plus de chances de se placer. Y a-t-il un problème astrophysique ? Non, car les étoiles autour desquelles des planètes rocheuses sont susceptibles de se former à une distance où l’eau serait présente sous forme liquide se comptent probablement en milliards dans la Voie lactée, voire davantage. Y a-t-il un problème chimique ? Non, car les éléments essentiels à la vie telle que nous la connaissons, à savoir les CHNOPS (carbone, hydrogène, azote, oxygène, phosphore et soufre), sont aussi parmi les éléments les plus courants dans l’Univers. Y a-t-il un problème d’énergie ? Non plus, car l’étoile en fournit suffisamment.


Pour Aditya Chopra et Charles Lineweaver, le problème est ailleurs. On peut, selon eux, trouver facilement des environnements propices dans lesquels la vie éclora. En revanche, rien ne garantit que ces environnements garderont durablement des conditions favorables, parce qu’une planète, à sa manière, est « vivante », qu’elle évolue, qu’elle est soumise à des règles physiques et à des cycles. Ces deux chercheurs reprennent ainsi les exemples de Vénus et de Mars, nées dans la « zone d’habitabilité » du Soleil. L’eau y a coulé sous forme liquide. Peut-être la vie y est-elle même apparue. Mais si c’est le cas, elle n’a pas pu s’y maintenir : soumise à un effet de serre galopant, Vénus s’est transformée en enfer surchauffé, à plus de 400°C, tandis que Mars a perdu son atmosphère et s’est gelée. Il faut bien admettre que l’eau n’est pas facile à maintenir sur une planète sous sa forme liquide. D’ailleurs, elle aura disparu de la Terre d’ici un à deux milliards d’années…


L’étude d’Astrobiology pose la question de savoir si le fait que la vie ait perduré sur notre planète est uniquement dû à des conjonctions physiques favorables. Et la réponse est surprenante. Pour ses auteurs, si la Terre n’a pas perdu son habitabilité, c’est probablement grâce… au vivant lui-même. Celui-ci n’est en effet pas un simple « passager passif », pour reprendre la jolie expression présente dans cet article, mais il « modifie et régule activement son environnement ». Comment ? Par exemple en agissant sur la composition de l’atmosphère, sur les gaz à effet de serre, sur l’albédo de la planète, c’est-à-dire sur sa capacité à renvoyer ou à absorber les rayons solaires. Par ces mécanismes dits de rétroaction, la vie crée les conditions de sa propre perpétuation… ou, si tout tourne mal, de son extinction.


J’en prends pour exemple, même s’il n’est pas cité dans l’étude, l’épisode dit de la Grande Oxydation. Les premiers organismes terrestres étaient anaérobies : ils n’avaient pas besoin d’oxygène pour fonctionner et celui-ci était même une sorte de déchet relargué dans l’océan où il était capturé par le fer. Mais lorsque tout le fer a été utilisé, l’oxygène s’est accumulé dans les mers et dans l’atmosphère. Non seulement cet élément était toxique pour les organismes de l’époque mais il s’est aussi associé avec le méthane présent dans l’air, retirant de l’atmosphère ce puissant gaz à effet de serre. Cela aurait provoqué une chute brutale des températures et, entre 2,4 et 2,1 milliards d’années, l’épisode dit de la glaciation huronienne, où la Terre aurait été recouverte de glaces. Catastrophe ? Au terme de cette très longue glaciation, de nouvelles formes de vie compatibles avec une atmosphère riche en oxygène ont pris le relais et nous sommes leurs lointains descendants. Cette histoire illustre bien la capacité de la vie à influencer les cycles géochimiques et à les transformer en cycles biogéochimiques. On pourrait aussi citer l’action de l’homme sur le cycle du carbone et toutes les conséquences qui en découlent…


Au bout du compte, si les extraterrestres ne sont pas partout, c’est, estiment les auteurs de cette étude, parce que, sur la plupart des planètes, le changement des conditions physiques « conspire à éliminer la vie naissante avant qu’elle ait une chance d’évoluer suffisamment pour réguler les cycles globaux ». Selon leurs modèles, la grande majorité des planètes vivables seraient incapables de maintenir leur habitabilité plus de 1 ou 1,5 milliard d’années. Les planètes telles que la Terre, celles où le vivant a pris la barre avant d’être balayé, seraient donc une minorité chanceuse.

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